Jeu 12 Sep - 18:07 Ecran blanc devant ses yeux bleus, ses doigts effleurent les touches de son clavier, sa tête cherchant des idées à la fois originales et conventionnelles. C'est ce que doit être chaque profil sur une appli de rencontre, en tout cas s'il veut obtenir de bons matchs. Les bons matchs, ce sont les profils attirants qu'on a liké, après trois longues secondes à les contempler, et qui nous on liké en retour, par mégarde probablement.
Bien sûr, cette application était différente de toutes les autres qu'il avait usé jusqu'ici. Peut-être les avait-il toutes épuisées, il en connaissait tous les ressorts et savait utiliser les stratégies les plus retords pour attirer les plus jolies personne à des dates dont il maîtrisait la bonne conduite avec une expertise froide et professionnelle. Mais cette application était différente parce qu'elle s'adressait à un public différent et, se disait-il avec le quart d'un demi-sourire esquissé, peut-être retrouverait-il les sensations de novice qu'il exécrait alors, mais qu'il chérissait désormais avec la nostalgie des oublis. Qu'il était doux alors de nerveusement chercher du regard dans un bar bondé la tête d'une jeune femme qui répondait laconiquement à ses messages tinder, mais qui avait curieusement accepté son invitation du soir à condition qu'il paie la première tournée – qui serait d'ailleurs la seule. Qu'il était drôle – et attendrissant – de repenser à la première fois où il avait monté les marches d'un escalier étroit derrières un grand garçon qui le menait jusqu'à sa chambre, puis arrivé devant son lit, avait baissé son pantalon sans attendre et lui avait lâché nonchalamment : « Allez, montre-moi ce que tu sais faire... ». Montre-moi ce que tu sais faire, à lui qui n'avait jamais rien fait avec un homme (que lui-même s'entend) !
Il avait ainsi rencontré plusieurs dizaines de gens – j'ai arrêté de compter après la quarante-quatrième personne, vous dirait-il. Il avait toujours préféré ce contact plus direct qu'il avait avec un homme. On ne se tournait pas autour pendant une soirée entière, pas de bullshit, on venait pour le sexe et rien que pour le sexe, non ? Il trouvait en somme que les hommes étaient des filles plus faciles que les femmes, bien qu'il préférât la sensualité mouillante que ces demoiselles dégageaient dès que ses doigts frustrés pendant plusieurs jours sur son écran arrivaient à leur culotte.
Pourquoi les gens étaient différents sur cette application, et en quoi cela changeait quoique ce soit aux interactions qu'il aurait avec ses utilisateurs ? Eh bien, les utilisateurs pour la plupart avaient des maladies graves, plusieurs mêmes avaient une maladie incurable. Toute la publicité de l'appli reposait là-dessus. Qui, sur une appli traditionnelle, aurait pu écrire fièrement qu'il avait le sida et récolter le moindre match en un mois ? Pourtant ici, les sidaïques avaient une bonne côte de like – pas la plus grande non plus. Tout était, je me sens obligé de vous prévenir maintenant, extrêmement cynique sur cette appli nommée ZombiLuv. On pouvait souvent tomber sur des slogans dans ce goût-là : « Ici, venez vivre la Petite Mort avant la Grande ». Partagé entre rires, surprise, consternation et curiosité – malsaine bien sûr – notre jeune héros, je pense, venait sur cet appli pour redécouvrir des sensations qu'il connaissait déjà, faux novice du marché sexuel. Il essayait du mieux qu'il pouvait d'oublier tout ce qu'il savait de sa grande expérience des rencontres virtuelles, et par conséquent ses efforts pour oublier rendait sa mémoire infaillible sur les détails les plus infimes de ses stratégies de vieux renard.
